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Pôle Bijou : 3 femmes en guerre

"En Guerre", l'exposition actuelle du Pôle Bijou à voir à Baccarat, combine la présentation d'objets historiques et de créations contemporaines. En cela, le Pôle Bijou interroge sur le temps qui passe : celui nécessaire pour compléter une collection d'objets d'époque et celui des artisans, passé à créer leurs bijoux. En creux, la volonté partagée de conserver la mémoire à travers les objets. Pour le collectionneur, il s'agit de sauver de l'oubli et de la disparition les objets de l'époque. Pour l'artisan d'art, il s'agit de développer une approche personnelle sur la guerre et de la donner à voir à travers ses propres créations.

En autres, le Pôle Bijou présente les créations de trois femmes. Trois univers artistiques différents, trois matériaux différents et trois techniques différentes mais une approche commune : celle, émouvante et sensible, de s'interroger sur ces hommes et ces femmes qui se retrouvèrent plongés dans la plus indicible des horreurs et d'en produire de somptueuses créations à découvrir à Baccarat jusqu'au 24 juin 2018.

 

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  • Géraldine Jannot et la terre des tranchées

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A l’âge de 37 ans, Géraldine Jannot a choisi la voie de la reconversion professionnelle. Après 20 ans d’activité en restauration traditionnelle, elle rejoint le Centre Professionnel International de Formation aux Arts et à la Céramique dont elle sort avec le certificat de Céramiste obtenu avec « mention très bien ». Il y a à peine un an, elle crée son atelier G.Céramiques.

Quand elle a décidé de proposer un dossier pour En Guerre elle s’est nourrie en lisant de nombreuses lettres de combattants et notamment une, qui a tout déclenché par ces quelques mots : « … je serre ta dentelle contre mon cœur mon amour… ». Elle se met à imaginer « ce poilu, rompu de fatigue à demi enseveli dans cette terre qu’il défend. Quoi de plus symbolique que d’utiliser cette même terre, transpirante d’histoire, en tant que matière créative...» Alors, elle a décidé de collecter de la terre dans les tranchées, terre qui allait devenir son outil de travail.

Conception minérale

  • Récolte de la terre

La terre fût prélevée directement dans une des tranchées du village meusien d’Apremont-la-Forêt. Le paysage est émouvant. Les traces des combats sont toujours présentes. Les tranchées sont profondes et, accompagnée de ses filles, elle cherche l’endroit idéal pour cueillir la terre. Un endroit humide… Il y a énormément de roches et de pierres, et pas de milieu humide. La récolte s’annonce mal… Tant pis, on creuse… beaucoup de gros cailloux, de morceaux de fer, probablement des restes d’obus… Nous prélevons 10kg terre mêlée qu’il faudra préparer. Un test consiste à sentir si la terre est argileuse. Elle l’est…

  • Séchage 
   De retour à l’atelier, la terre est déposée sur le sol pour sécher. Les pierres et les éléments végétaux sont retirés au fur et à mesure. L’argile se dissout mieux dans l’eau lorsqu’elle est sèche, c’est pourquoi la phase de séchage est indispensable à cette terre pleine d’impuretés.         

 

  • Tamisage à sec
 Un premier tamisage à sec va permettre d’obtenir une granulométrie intéressante. Puis la terre tamisée est mise à décanter. Cette phase est longue et permet tout à la fois de retirer les végétaux en immersion et de séparer l’argile des autres éléments dont nous n’avons pas besoin (sable, petits cailloux…)          

 

  • Décantation
 Dans le bac de décantation trois niveaux sont visibles : au fond argile et impuretés lourdes ; au milieu argile pure en suspension ; et en surface eau claire. Tous les jours il faut éponger l’eau claire en surface et mélanger à nouveau. Un tamisage humide est nécessaire pour enlever les dernières impuretés. Au bout de deux semaines, une grande partie de l’eau est évaporée          

 

  • Séchage sur plâtre
 Le plâtre à la capacité d’absorber l’eau. L’argile est posée sur un linge puis sur le plâtre de façon à la sécher. En une nuit la terre est idéale à travailler. Il faut surveiller cette phase de séchage, car si la terre est trop sèche, elle ne pourra pas être utilisée pour le modelage et sera difficile à travailler. Il faudra alors tout recommencer…             

 

  • Homogénéisation
Cette phase consiste à travailler la terre en faisant le « bélier », sorte de massage homogénéisant en profondeur. Cette action enlève les bulles d’air présentes dans la terre qui risqueraient de faire fissurer, voir exploser les pièces. Après de nombreux essais, le résultat est concluant. J’obtiens une pièce d’une couleur idéale en ajoutant 5% de pigments et d’une plasticité idéale en ajoutant 30% d’argile plus plastique… Pourtant le résultat final ne se découvrira qu’à l’issue de la cuisson !    

 

Histoire de bijoux / Des bijoux dans l’histoire

Sur ces bijoux aux formes minérales, toute trace du process de fabrication est restée apparente, comme faisant partie intégrante de l’histoire des lignes multiples sont les représentations envisageables d’abris, un fossé excavé, un insigne, des sillons, un cratère, ou même le vide, le manque. Sur la face contre le corps, comme un secret, on devine la sensualité de la dentelle, lingerie coquine ou broderies d’une étole, l’empreinte de la dentelle est gardée précieusement au revers des pièces. Le design contemporain de ces pièces est un contraste intéressant qui retrace l’histoire, montrant l’importance du rôle de la femme en tant qu’épouse et soutien moral, pendant la guerre. La sculpture et le poinçonnage sont les procédés les plus utilisés par les Poilus, sur les objets de tranchée répertoriés. Pour réaliser ce projet, j’ai utilisé les techniques similaires et les matériaux imprégnés de l’histoire de la Grande Guerre.

 

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  • Andreia Gabriela Popescu et la fascination du Zeppelin

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Andreia Gabriela Popescu, est née à Bucarest en 1973. Elle se forme aux métiers de la finance et travaille dans cet univers en occupant son temps libre à des activités créatives, avant que ces dernières ne prennent le pas. Aujourd’hui, elle participe à de multiples expositions internationales (Milan, Bruxelles, Vilnius, Prague ou Barcelone).

Elle aime dire que ses pièces sont inspirées par « l’air du temps » et par « le monde qui l’entoure ». Ses collections ont toujours une base conceptuelle qu’elle construit autour d’une histoire qu’elle a envie de raconter. Son désir : que ses objets ne soient pas juste des objets précieux, mais surtout des pièces qui « parlent ».

  • La collection ZEPPELIN

En relisant l’histoire de la Première Guerre Mondiale, tant en Roumanie que partout dans le monde, elle a tenté de s’arrêter sur les éventuels aspects positifs qui resteraient dans la mémoire collective, indépendamment du pays, de la religion ou de l’opinion politique. Cela lui a permis de découvrir la place très spéciale du Zeppelin, à la fois icône universelle de la Première Guerre mondiale et symbole d’une forme de grâce un peu nostalgique.

Andreia souhaitait jouer avec cette image positive du Zeppelin, transportant marchandises et voyageurs, impressionnant par sa forme, ses dimensions, son vol si particulier et sa grande créativité de conception technologique, et ainsi souligner son autre aspect bien plus tragique. Ses petits Zeppelin se déclinent en broches, bagues, colliers ou encoure boutons de manchettes. Conçus en impression 3D, puis réalisés par la technique de fonte à la cire perdue ils viennent ensuite s’orner de bronze, or ou argent patiné. Elle joue avec la sensation d’émerveillement enfantin un peu admiratif qui nous fait lever le nez quand un petit Zeppelin publicitaire traverse le ciel... Émotion si éloignée de l’effroi que 100 ans plus tôt sa vue dans le ciel pouvait provoquer.

  • Un ZEPPELIN à Lunéville

Un double lien avec l’histoire locale Le 3 avril 1913, le ZEPPELIN Z 4 (long de 148m) est contraint à un atterrissage forcé sur le Champs de Mars à Lunéville, attirant une foule immense de curieux. Provocation ? Espionnage ? On frise l’incident diplomatique majeur… dans l’état d’esprit « revanchard » exacerbé de l’époque. Pourtant le lendemain, réparé et ravitaillé l’appareil reprend son vol non sans avoir été copieusement photographié et étudié. Il reste de ce jour une grande collection de cartes postales commémoratives.

Le 22 août 1914, le ZEPPELIN LZ 33 (long de 176m) sera le premier Zeppelin disparu pour faits de guerre. Il apparait au-dessus de Lunéville dans la nuit, il lâche 3 bombes sur un camp militaires de Badonviller. Il est alors pris sous le feu du 70ème RIT et s’abat près du col de la Chapelotte. Son équipage se réfugie rapidement derrière les lignes allemandes, mais les troupes françaises pillent la carcasse. Témoins, ces ronds de serviettes directement débités dans sa structure aluminium.

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  • Catherine Sumatra et les fleurs en mémoire

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Lorsque Catherine Sumatra a découvert l’appel à candidatures pour « En guerre ! » elle accomplissait un service civique au sein de la structure de formation du Pôle Bijou. En parallèle de ses activités de jeune volontaire, dédiées tout particulièrement à l’accompagnement d’un groupe de femmes dans des projets de reprise de confiance en soi à travers les métiers d’art, elle bénéficie de l’accompagnement de l’Institut de l’Engagement afin de lancer son projet d’entreprise de formation à la broderie.

 
  • Broderie
  Mais si « En guerre ! » a retenu toute son attention, c’est également parce que, issue de l’île de la Réunion, Catherine s’interroge depuis toujours sur le rapport à l’autre et tout particulièrement à celui de l’esclavage. Elle a donc proposé de mettre sa technique de broderie au service du thème : « créer des fleurs, signifiantes, qui sont posées comme des gerbes sur les tombes pour les morts tombés à la guerre, européens ou venus d’ailleurs et qui, sous le tonnerre des bombardements, les pieds dans la mort, ont récupéré ceux qui étaient à terre pour en faire des objets d’art… » Elle a choisi 3 fleurs : le bleuet, le coquelicot et le bougainvillier.     
  • Le bleuet

Pourquoi le bleuet ? On dit que les bleuets et les coquelicots furent les fleurs qui continuaient à pousser inexorablement dans la terre des champs de bataille retournée par les millions d’obus, offrant une note colorée de légèreté et d’espoir. En 1916, Alphonse Bourgoin composa Bleuets de France en hommage aux jeunes soldats de 19 ans (la classe 17) qui arrivaient au Chemin des Dames dans leur uniforme bleu horizon. Dans le même temps (1916), Mmes Lenhardt et Malleterre, infirmières à l’hôpital des Invalides, préoccupées par la réinsertion des blessés de guerre dans la société civile organisèrent l’œuvre du bleuet : les blessés fabriquaient dans des ateliers des « bleuets », insignes de papier aux pétales de tissus et étamines de papier qui étaient vendues dans la rue. Les recettes offraient un petit revenu aux ouvriers blessés, premier symbole de la réinsertion par le travail. Après-guerre, cette œuvre du bleuet sera officialisée en Œuvre Nationale du Bleuet de France, permettant de lever des fonds pour financer les œuvres sociales qui viennent en aide aux anciens combattants, veuves de guerre, pupilles de la Nation, soldats blessés en opération de maintien de la paix, victimes du terrorisme.

   
  • Coquelicot
Pourquoi le coquelicot ? Cette fleur est devenue l’emblème des soldats anglais – et par extension dans tous les pays du Commonwealth, et tout particulièrement celui des soldats tombés au combat, équivalent au bleuet français. C’est à l’issue de la bataille d’Ypres au printemps 1915 que le Médecin canadien J. McCrae écrivit un poème, « In flanders fields » témoignant du bain de sang si étrangement illustré par ces coquelicots fleurissant dans les tranchées et sur les tombes des soldats…         
  • Bougainvillier

Mais alors pourquoi le bougainvillier ? De par ses origines, elle souhaitait tout particulièrement rendre hommage aux tirailleurs sénégalais, algériens, malgaches, réunionnais… Tous ces combattants qui furent souvent des oubliés de l’histoire venant des pays chauds, dépaysés en situation de guerre, transis de froid... Elle a opté, pour le bougainvillier, plante grimpante, à la couleur vive, qui aime les endroits chauds et ne résiste pas au gel !

 

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